La Francophonie, enjeux et perspectives Questions-réponses avec François David
- Pytheas asso
- 14 avr.
- 5 min de lecture
Dans le cadre de ses projets : L’association Pytheas a souhaité porter le projet Francophonie 2025 qui vise à étudier l’histoire, les enjeux et les actualités francophones.
Depuis la naissance de l’idée d’un “commonwealth à la française” en 1962, la Francophonie s’est affirmée comme un espace culturel, linguistique et politique unissant des pays partageant l’usage de la langue française. Mais au-delà de la langue, elle incarne un idéal de solidarité, d’échanges et de coopération entre nations. Aujourd’hui, près de 300 millions de personnes font partie de l’espace francophone, faisant du français la cinquième langue la plus parlée au monde. Cette langue commune favorise les échanges et la proximité, constituant ainsi un véritable levier de développement. Du 15 au 23 mars 2025, la Semaine de la Francophonie valorise la langue française et la communauté francophone à travers une multitude d’activités qui se tiennent partout en France et à l’étranger. Pour sa 30e édition, sur le thème “Prenez la parole !”, nous avons donc voulu interroger François David sur son parcours et ses opinions au sujet de la francophonie.

Pour introduire cet entretien, pouvez-vous nous présenter votre parcours et nous expliquer pourquoi travailler sur la francophonie ?
Professeur de Relations internationales aujourd’hui à l’Université du Littoral, Côte d’Opale, j’ai dirigé l’ancien laboratoire « Francophonie, Mondialisation et Relations internationales » à l’université Jean Moulin, Lyon 3 entre 2014 et 2020. J’ai encadré 7 doctorants francophones africains, vietnamien, canadien voire états-unien (un ex-aide de camp de Trump I et Biden), désormais docteurs. Pour paraphraser de Gaulle, la francophonie est avant tout une certaine idée de la civilisation française, offerte à tous, partagée par certains, au profit de ceux qui le souhaitent.
Quels sont, selon vous, les défis majeurs auxquels la francophonie est confrontée aujourd'hui ?
Premièrement, les élites politiques, technocratiques, voire universitaires à l’occasion ne croient plus en l’universalité de la langue française. Exemple, parmi d’autres : les conseils d’administration de Renault et Stellantis se tiennent uniquement en anglais. Ou bien, d’éminents magistrats du Conseil d’Etat refusent que le français soit la langue de travail sur les chantiers de travaux publics en France. On devrait admettre, en pure évidence, que quiconque souhaite travailler en France, à quelque niveau, le fasse en français. Puis, les régimes autoritaires africains se tournent vers l’anglais (le Rwanda en 2008 choisit l’anglais comme langue officielle et comme langue scolaire en plus d’adhérer au Commonwealth), voire se tournent vers l’influence russe et chinoise (Instituts Confucius et programmes universitaires en Chine pour des étudiants africains). Enfin, l’ex-Indochine française ne parle plus français. Quelques exceptions demeurent, dont ma docteure de Hanoï.
Comment la diversité des pays francophones influence-t-elle la langue française ?
De ce point de vue, nous devons être ouverts, comme l’évoque Ferdinand de Saussure et son « Cours de Linguistique générale » (1916). Synchroniquement, la langue est intangible (surtout la grammaire). Diachroniquement, elle évolue nécessairement selon le contexte socio-culturel (les néologismes québécois, louisianais ou africains).
Pouvez-vous nous donner des exemples d'initiatives réussies pour promouvoir la francophonie à travers le monde ?
Je pense surtout à l’agence Universitaire de la Francophonie (AUF, un « opérateur » de l’Organisation Internationale de la Francophonie), au réseau des Alliances françaises (hors OIF), au programme français Etudes En France (EEF, ex-campus France) qui, dans les faits, participe à l’aide internationale publique au développement.
Quel rôle joue la francophonie dans le maintien et la promotion de la culture et des traditions locales ?
Prosaïquement, je dirais que dans les Etats où les langues ethniques abondent (RDC, Gabon, etc…) le français langue de travail évite qu’une des langues vernaculaires l’emporte sur les autres. Par défaut, le français atténue les dissensions interethniques (pourquoi une langue locale s’imposerait-elle aux autres ?). En respectant ce principe, chaque ethnie peut alors librement continuer à cultiver sa propre identité.
Quels sont les principaux avantages de l'appartenance à la francophonie pour un pays ?
La Francophonie permet de se relier à une langue universelle, certes aujourd’hui après l’anglais. Le français est aussi une langue scientifique. Par exemple, au Vietnam, les cours de pharmacie et certains enseignements de médecine, continuent d’être dispensés en français faute d’un lexique médical pertinent dans la langue vernaculaire.
Comment la francophonie peut-elle contribuer à la résolution des conflits et à la promotion de la paix ?
Sur ce point, nous devons bien distinguer la francophonie linguistique de la Francophonie politique (OIF). L’erreur de la charte d’Hanoi de 1997 sous la férule de son nouveau secrétaire général Boutros Boutros-Ghali, fut de placer à titre égal le partage de la langue française et la promotion de la démocratie. La démocratie est excellente mais hors sujet dès lors que la moitié des membres de l’OIF sont des dictatures qui refusent le multipartisme. Il faut replacer l’église au centre du village : par la culture, on élèvera les âmes vers des formes sociales et culturelles supérieures. A terme, un jour espérons-le, la démocratie authentique.

Quelles sont les principales différences entre les variétés de français parlées dans différents pays francophones ?
Le lexique évolue, et c’est normal (voir le dictionnaire des parlers francophones de l’Académie des Sciences d’Outre-Mer – ASOM). La syntaxe, fort heureusement, ne varie pas.
Quel est l'impact de la mondialisation sur la langue et la culture francophones ?
L’anglais, le « globish » en en fait, est le corollaire de l’américanisation des mœurs. Aux Français, au Québécois, aux Européens, d’abord de réagir. « Vous voulez travailler chez nous, avec nous ? » « Excellent, mais d’abord, vous apprenez le français ». Le français doit redevenir une des langues de travail obligatoires de la Commission européenne et de l’ONU. Le principe de traduire systématiquement les documents officiels, ainsi que les sites internet doit être rétabli.
Comment voyez-vous l'avenir de la francophonie dans les prochaines décennies ?
Fort mal puisque nos élites technocratiques voire certains établissements universitaires capitulent en rase campagne. Une anecdote : lors d’un congrès de l’Association internationale de science politique à Edimbourg en 2015, bilingue (français-anglais dans les statuts), je fus le seul à m’exprimer en français. Même les Québécois (co-organisateurs), conférèrent en anglais. Je m’aperçus après-coup que les deux tiers des participants (dont des Kurdes, des Thaïlandais, des Colombiens) comprenaient parfaitement le français. Si les Français renoncent d’eux-mêmes, pourquoi apprendre leur langue ? J’ai vécu la même expérience à Budapest en 2016 (commémoration de la crise de Suez et de la révolution hongroise) : on m’a demandé de m’exprimer en anglais alors que les deux tiers de l’assistance comprenaient aussi le français. Pourquoi les membres de l’assistance (certes assez âgée) chercheraient-il à convaincre alors leurs enfants et petits-enfants à apprendre le français ?
Quelles stratégies pourraient être mises en place pour renforcer l'enseignement du français et encourager son apprentissage dans les pays non-francophones ?
Déjà, on doit revoir l’enseignement du français dans les pays de tradition francophone, l’Afrique en tête, où le niveau s’effondre. L’OIF, au lieu de se perdre dans des programmes inclusifs et démocratisant (que font bien mieux et plus efficacement d’autres organisations internationales) devrait créer cinq ou six centres robustes de formation et de perfectionnement des professeurs des écoles et de collèges-lycées en Afrique. Et puisque l’OIF fait du numérique un de ses programmes phares depuis 10 ans, elle devrait constituer des bibliothèques numériques (accès aux revues scientifiques ; science ouverte) accessibles à ces centres et à l’ensemble des universités africaines, voire asiatiques francophones. Mais la Francophonie ce sont aussi les Amériques : actuellement les départements de français des Etats-Unis (Yale par exemple, où j’ai dispensé mes premiers enseignements) sont en chute libre. L’OIF, le quai d’Orsay et le ministère de l’Enseignement supérieur doivent concentrer leurs efforts vers les futures élites américaines, tout confondu. Le moment Trump II rouvre une petite fenêtre. Enfin, n’oublions pas le Vietnam, le Cambodge et le Laos… à condition que la France finance. Sinon, les Etats-Unis, mais aussi l’Australie et la Nouvelle-Zélande emporteront la mise (je parle d’expérience).
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