Hibakusha ou "la malédiction du survivant"
- Edouard Kamykowska
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« Dans un pays où l’holocauste nucléaire est à la fois mythifié comme un baptême et refoulé comme les hibakusha qu’on cache », tels sont les mots de l’historien Jean-Marie Bouissou en évoquant la Bombe et ses conséquences sur la société japonaise. Ces hibakusha, ces victimes de la bombe atomique, qu’elles soient celles d’Hiroshima ou de Nagasaki et désormais Fukushima-Daiichi, sont les porte-étendards de la dénucléarisation dans le monde. Ils sont présents à chaque commémoration des bombardements et, en association, transmettent leurs histoires devant des élèves et le grand public. Cependant, ils portent en eux une malédiction lente et sournoise...
Qui sont donc les hibakusha, « mythifiés » comme survivants de la Bombe et à la fois « refoulé », mis au ban, puis réintégrés dans un statut « spécial » dans la société nippone ? Cette réflexion s’appuiera sur la période immédiatement postérieure à l’explosion, soit la genèse des hibakusha (1945-1952) et se concentrera sur l’établissement d’une « carte d’identité » historique de ce statut et sur sa reconnaissance. De fait, le propos s’appuiera sur une méthodologie historique avec une confrontation des propos sourcés (titres de journaux, témoignages, notes de médecin et un manga) avec comme base iconographique le commentaire des planches du manga Gen d’Hiroshima de Keiji Nakazawa, mangaka et militant hibakusha et son analyse historique.
« Une bombe nouvelle »
Pour les survivants de ce véritable dragon de feu, l’enfer de l’atome ne se termine pas à la fin des incendies et des destructions, il ne fait que débuter. Très tôt, les mentions d’une « bombe nouvelle » ou « pas comme les autres » font le tour des survivants et rapidement des alentours des zones bombardées. Ces mentions apparaissent toutes dans le manga de Keiji Nakazawa, lui-même hibakusha à six ans, à Hiroshima, où les personnages l’évoquent en la distinguant des autres tombées sur le pays, lors des campagnes de bombardements en raison de l’ampleur des dégâts matériels et corporels. Les premières annonces de cette bombe atomique arrivent dès le 8 août 1945 dans les journaux japonais : « Un nouveau type de bombe ennemie sur Hiroshima », titre le journal Asahi ; « Les B-29 utilisent un nouveau type de bombe », titre le Yomiuri., Après le bombardement de Nagasaki, à partir du 11 août, les grands titres soulignent le caractère inhumain de cette frappe.. Néanmoins, l’information étant contrôlée par le gouvernement, les articles traitent les bombardements nucléaires comme les autres subis par la population et orientent le texte pour susciter la haine de l’ennemi. Notons que les premiers témoignages de survivants à la presse sont visibles dès le 16 août.
« Bombe nouvelle » par son ampleur de destructions ? Oui, les corps portent les stigmates de cette nouvelle arme : des brûlés à la peau fondue et en lambeaux, perçus comme des « monstres » dans le manga et dénommés comme tels dans certains témoignages. Ces effets corporels se complètent avec des facteurs psychologiques. La mère de Gen parle de la bombe en ces termes : « ce n’était pas une bombe comme les autres » face à la vue de grands brûlés demandant de l’eau, devant un homme devenu fou qui urine sur la voie en s’écriant : « Chargez ! à l’attaque ! je suis un grand général ! ». La vision des corps et la folie de ce personnage témoignent toutes deux des conséquences indirectes de la Bombe atomique : l’irradiation des habitants. Ce mal est rapidement nommé la « maladie des radiations », méconnue de la majorité des médecins de l’époque, sans omettre la destruction des installations sanitaires. Le gouvernement, cependant, était au courant de la nature exacte de la Bombe, le vice-ministre des Affaires étrangères Matsumoto nous le rapporte :
« L’engin fut officiellement annoncé comme “une bombe d’un type spécial“, mais nous sûmes que c’était une bombe atomique parce que nous enregistrâmes les émissions sur ondes courtes de la radio américaine. »
Les Japonais travaillaient eux aussi sur l’élaboration d’une bombe atomique qui, par la faute d’un écart technologique trop important, n’a pas abouti. Pour revenir sur la nature atomique de la bombe, cette dernière s’accompagne de deux effets lors du processus de fission nucléaire : une libération d’énergie thermique et de rayonnements ionisants, affectant directement le corps. Cette donnée connue par le gouvernement japonais nous oblige à nous poser une question : et le gouvernement étasunien de son côté, en connaissait-il les conséquences ? Le test Trinity du 16 juillet 1945 marque le début de l’âge atomique et aurait dû s’ériger en une Cassandre, car des particules radioactives ont été détectés à des dizaines de kilomètres du « point zéro », contaminant quelques bourgades. Les retombées sont signalées dès la seconde partie du mois d’août par des fermiers qui ont remarqué la perte de fourrure et des problèmes de peau sur leurs animaux. Or, ces faits ne sont pas transmis aux plus hautes autorités qui n’ont pas attendu de vérifier les effets, même s’ils ont été sensibilisés à cette problématique de manière minime. De fait, si des animaux contaminés par une « faible » concentration de radiations ont développé des problèmes de peau, quelles sont les conséquences sur les survivants ?
Le poison de l’explosion
Les conséquences des rayons ionisants apparaissent rapidement sur les populations, surtout si la dose est très forte. Ici la double planche nous montre l’ensemble du panel d’une dose de radiation extrême reçue par un homme. Gen tombe dans les pommes dû à la haute chaleur dégagée par la fournaise d’Hiroshima et le soleil d’été. Pris pour un mort, il est ramassé par les soldats et sauveteurs envoyés sur place. A l’instar des survivants directs de la catastrophe nucléaire, les sauveteurs – militaires et civils – vont absorber une grande dose de radiation, tel que ce soldat. Ainsi, ce militaire sauve Gen et l’emmène vers l’hôpital de fortune le plus proche, où il est pris d’un relâchement des muscles : perte du contrôle de la défécation, des selles remplies de sang, des maux de ventre avec un sentiment de fatigue extrême, mais aussi la perte de cheveux et une sensation de froid. La panique se ressent progressivement avec la chute progressive des cheveux, il meurt peu de temps après l’apparition d’un froid glacial et d’une phase de délire. Gen est désemparé face à ce mal rapide et indolore, plus tard, il perd aussi ses cheveux. L’ensemble de ces symptômes est le fait d’une « maladie des radiations » issue des rayons ionisés de la Bombe. Cette représentation en manga corrobore pleinement les témoignages de médecins – tout aussi désemparés – sur place comme le docteur Hashiya qui nous rapporte ses observations :
« Les survivants tombaient malades par groupes de sept ou huit, puis ils mourraient à peu près en même temps. Plus tard, je compris que ceux qui mourraient ensemble s’étaient trouvés au moment de l’explosion, à égale distance de son épicentre. Ce qui signifie qu’ils avaient reçu une dose sensiblement similaire de radiations. »
Par conséquent, le degré d’exposition détermine une suite de symptômes prédéterminée : dans le cas présent avec l’hémorragie digestive et la perte de cheveux du soldat, ce dernier a subi une large modification de sa formule sanguine qui s’étalonne à environ 10 à 20 sieverts reçus, une dose qui conduit à une mort directe. Ce militaire n'est pas un cas isolé, les survivants qui se trouvaient à moins de 500 mètres de l’épicentre subissent le même sort que lui sous les quatre à cinq jours, même symptômes et sorts pour ceux se trouvant entre 500 et 1 000 mètres. L’ensemble des survivants et des sauveteurs a reçu des doses radioactives, plus ou moins fortes, suivant leur degré d’exposition, le manga montre surtout les symptômes de soif et les vomissements spontanés avec du sang. Ces deux symptômes sont les plus forts visuellement parlant et ceux revenant dans d’autres notes de médecins. Les radiations se trouvent partout avec les retombées du champignon nucléaire : le sol, les débris, dans les corps et surtout dans l’eau de la rivière. Yamaoka Michiko, une hibakusha, nous évoque le cas de l’eau. Elle transmet dans son témoignage les paroles de personnes sur son bateau lors de son évacuation jusqu’à Ujina : « Laissez-les boire l’eau s’ils veulent. De toute façon, ils vont mourir ». Sans le savoir concrètement pour les rescapés, l’eau contient la plus grande concentration de radiation et la boire peut entraîner une mort rapide.
Le manga Gen d’Hiroshima ne représente qu’une infime partie du Japon contemporain (1945-1953), mais son œuvre, publiée en 1973, rapporte un autre fait marquant des hibakusha : la malédiction du survivant. Cette « peste atomique » comme la nomme le journaliste Wilfred Burchett dans son article du 5 septembre 1945 dans le Daily Express, frappe les survivants bien après la guerre…
Nous sommes en 1953, dans le dernier tome de l’œuvre de Nakazawa, Gen s’est reconstruit après la mort de sa petite sœur et de sa mère, due à un cancer provoqué par le « poison de l’explosion ». Lycéen, il tombe amoureux de Mitsuko. Lors d’une discussion avec elle, celle-ci crache du sang. Gen s’inquiète pour elle et demande à l’accompagner à l’hôpital. Cette dernière refuse en lui rétorquant : « Gen, j’ai été irradiée, tu comprendras que je ne veuille pas y aller », les paroles touchent Gen, gêné, mais prouvent une forme de résignation à la mort due à la maladie de la Bombe. Mitsuko meurt d’une leucémie peu de temps après cette révélation. Cette maladie – comme le cancer – sont provoquées par une faible dose de radiations, dont les effets sont essentiellement génétiques, cancérogènes et apparaissent dans le temps avec des vomissements de sang, une fatigue extrême et une fragilité aux autres maladies (surtout dans le cas d’une leucémie avec la baisse des globules blancs). Cet exemple peut être confronté à l’état de Yamaoka Michiko – que l’on a déjà cité – qui restera durant toute l’année 1946 « clouée au lit », en plus d’avoir « perdu tous [ses] cheveux ». Le commentaire de cette planche démontre une forme d’indifférence dans la mort, une résignation pour les hibakusha tout le long du récit, malgré la force et la volonté de s’en sortir, à l’image d’un pays qui se reconstruit. Ainsi, le langage des émotions est d’autant plus fort en manga, car Gen subit vague après vague la mort de ses proches due à la Bombe (son père, sa sœur et un de ses frères, sa mère par la maladie comme sa petite sœur) pour la maudire, la haïr sans qu’on ne l’entende en miroir des autres hibakusha dans cette nouvelle société nippone. Pourtant, Mitsuko n’est pas une victime aussi directe de la Bombe comme Gen, elle est intégrée dans les victimes indirectes – à comprendre celles non mortes par l’explosion en elle-même. Pourtant, Mitsuko, Gen ou Yamaoka sont tous des hibakusha, des épargnés de l’horreur de l’explosion. Ce terme d’hibakusha réunit l’ensemble des personnes irradiées directement ou non. Barthélémy Courmont avance une typologie en quatre catégories pour les classer :
« Les personnes présentes dans un rayon de quelques kilomètres au moment des explosions ; les personnes s’étant trouvées dans un rayon de deux kilomètres de l’épicentre dans les deux semaines qui suivirent le drame ; les personnes ayant été exposées aux radiations ; et les bébés, à l’époque dans le ventre de leur mère, à la condition que celles-ci appartiennent à une des trois catégories précédentes. »
Par conséquent, les hibakusha ne se restreignent pas aux seuls témoins de l’explosion, les victimes « directes », comme Mitsuko qui n’a pas observé l’explosion, mais à un ensemble bien plus vaste – et plus complexe à dénombrer, surtout pour les trois dernières catégories – qui subirent les mêmes discriminations que les « victimes directes ». En y incluant les Japonais, naturellement, mais sans omettre les sujets de l’empire vivant aux alentours des villes atomisées : d’abord les Coréens (on estime à 50 000, le nombre de Coréens exposés à Hiroshima avec finalement 20 000 survivants), puis les Chinois du continent et ceux de Formose (alors possession japonaise), d’autres Asiatiques, puis les prisonniers de guerre. Tous, sans exception, deviennent également des hibakusha. Néanmoins, ce statut d’hibakusha, de « victime atomique », n’engage pas un soutien supplémentaire de la société, bien au contraire.
De l’ostracisme à la déshumanisation
Cette première approche du prix de la survie doit se corréler à l’extension du phénomène de « bombe d’un nouveau genre » parmi les populations vivant autour des lieux atomisés. L’extension des rumeurs concernant Hiroshima, puis de Nagasaki, impacte directement les survivants qui sont rejetés par peur « du poison de la Bombe ». Yamaoka Michiko témoigne d’une double peur, physique avec les autres, et d’une autre au sein de sa propre famille :
« J’avais le visage tellement enflé [et brûlé] qu’elle ne me reconnaissait pas. Puis, elle m’a reconnue à la voix. Elle m’a dit : “ Mademoiselle Yamaoka, vous avez l’air d’un monstre ! “ […] Plus tard, quand nous nous rendions chez des parents, ils ne voulaient même pas me laisser entrer de peur d’attraper la maladie. »
A l’instar de Yamaoka, d’autres hibakusha subissent ce rejet par peur d’une transmission de la « maladie ». Rejet se traduisant par des violences verbales comme le « monstre » ou « pestiféré » qui possèdent un ton religieux, car la notion de souillure est au cœur de la spiritualité shintô. Si une personne n’est pas « saine » physiquement, elle ne peut pas l’être psychologiquement, or les brûlures persistent sur les peaux et démontrent la souillure à tous. Ensuite viennent les violences physiques avec des jets de pierre ou un confinement dans une pièce de la maison, laissant le survivant face à son mal, seul ou pousse la personne à des pensées suicidaires. En manga, les personnages de Gen d’Hiroshima sont tous rejetés, relégués, violentés mis de côté voire diabolisés comme s’ils étaient tous la créature de Frankenstein malgré la fuite de cet enfer atomique. Ce phénomène de mise à l’écart est synonyme de mort sociale pour eux, considérés comme des pestiférés, ils sont mis au ban de la société d’après-guerre, « cachés » comme l’évoque Bouissou. Ces derniers sont repérés s’il y a un soupçon sur l’origine d’une des villes atomisées est confirmé, s’il y a des traces physiques, principalement des brûlures ou des chéloïdes, dues à la Bombe ou des symptômes dus aux radiations. En résumé, ils sont frappés d’un ostracisme pur et simple et cette pratique se poursuit bien après la guerre. Donc certains hibakusha cachent les parties brûlées avec un voile ou des bandages ou évitent de montrer les symptômes devant témoins comme Yamaoka qui nous rapporte cacher le côté du visage brûlé. D’autres, comme Keiji Nakazawa, cachent leurs origines avant d’arriver à Tôkyô ou d’autres villes pour éviter toute forme de discrimination. D’abord la stigmatisation, puis une mise à mort sociale que l’on peut tripler également, mais exclusivement dans le cadre féminin. En effet, les irradiés étant perçus comme « malade » d’un mal incurable pouvant être transmis finalement comme toute autre maladie risquant d’affecter les enfants… La conséquence directe de cette peur est le double rejet des femmes hibakusha, car elles peuvent enfanter de « monstres ». Donc d’autant plus que les autres hibakusha, les femmes provenant des zones irradiées cachent leurs origines pour éviter d’être mise au ban de la société, mais également d’une vie conjugale aux normes de la société, soit le mariage, puis la vie de famille. Or, la mort sociale se transforme en déshumanisation par les forces d’occupations.
Avec la mise sous tutelle du Japon par les forces alliées, réunies sous l’administration de la SCAP – Supreme Commander of the Allied Powers – dirigée par le général Douglas MacArthur. Des troupes sont rapidement déployées sur l’ensemble du territoire, dont Hiroshima et Nagasaki et des hôpitaux spécialisés sont construits pour accueillir les victimes des radiations. Rapidement, ces initiatives sont critiquées : n’avaient-elles pas pour objet d’analyser les limites humaines face à ce nouveau mal ? Dans un premier temps, le travail s’est penché sur le classement des différents types de décès liés aux radiations, donc par extension à la collecte d’informations avec une deuxième focale sur les cancers, la transmission génétique et l’irradiation par les enfants. Cependant, cet effort de recherche sur les conséquences de la Bombe va être centralisé par l’ABCC (Atomic Bomb Casualty Commission), créée en 1947 à Hiroshima, avant d’ouvrir une antenne en 1948 à Nagasaki. L’objectif de cette commission est l’étude des effets des radiations sur les populations exposées, les hibakusha sont donc perçus comme des « échantillons ». Ce point de vue se tient, car les études planchent principalement sur les conséquences liées à la bombe, sans qu’aucune assistance ne soit prévue pour les patients. Cette dernière sera épaulée par le Yoken (Institut national de la santé du Japon), fondé avec le soutien des forces d’occupation et composé de nombreux anciens membres de l’unité 731, qui effectue les mêmes analyses sans soins. Il faut attendre la fin de la SCAP, en 1953, pour que l’ABCC associe étude et soins. Cette vision déshumanisante pour les hibakusha est traduite dans le manga Gen d’Hiroshima, où l’auteur condamne les pratiques de la commission avec comme représentation sa mère atteinte d’une leucémie considérée de la même manière qu’un « échantillon ». Présenté comme un centre de soin, l’ABCC de Nakazawa relève plus d’un centre d’expérimentation et d’une prison à « cobayes » qu’une commission d’études. Cependant, on doit également mettre en avant l’utilisation de la science dans l’aide et le support aux victimes comme avec le groupe des Vierges de Hiroshima, dont Yamaoka Michiko fait partie. Groupe composé de 25 victimes, choisies par Norman Cousins, le rédacteur du Saturday Review, pour venir aux États-Unis et subir des traitements et des opérations de chirurgie plastique redonnant un caractère humain à certains hibakusha.
Reconnaissance et porte-drapeau antinucléaire
Les hibakusha sont des victimes plurielles des bombardements atomiques : sur l’instant T, puis avec l’ostracisme qu’ils subissent après-guerre. Perçus comme des « reliques honteuses » de la défaite, leur reconnaissance a été un long parcours du combattant : voix étouffée par l’occupant avec interdiction de publier des témoignages, de la littérature ou d’enquêter, pour les journalistes, sur les victimes des bombardements. Après l’occupation, leur voix est de nouveau contrainte par le droit à l’oubli qui frappe l’ensemble des Japonais avec l’arrivée du « miracle économique ». Face à ces contraintes, les hibakusha se rassemblent et se dotent d’une mission : ne pas oublier. D’autant plus qu’un autre statut peut émerger : les doubles hibakusha, étant allés à Hiroshima, le 6 août, avant de revenir à Nagasaki – ou le phénomène inverse – et dont la reconnaissance est complexe à l’image de Tsutomu Yamaguchi. En parallèle, la jeune Sadako Sasaki, ayant été irradiée à l’âge de deux ans et demi, entrepris lors de son hospitalisation en 1955 dans l’accomplissement d’une légende, celle des 1 000 grues en origami qui lorsqu’il est accompli peut exaucer un vœu de santé. Sa mort après avoir confectionné 644 grues lancent le mouvement qui est repris par ses camarades et se pérennise encore aujourd’hui. Par des monuments comme la statue de la jeune fille tenant une grue en or depuis 1958 dans le parc de la Paix où le maintien du dôme Genbaku comme tel, les hibakusha lancent un signal fort qui se concrétise avec la volonté de transmettre leur histoire aux prochaines générations. Les voix s’élèvent progressivement avec la diffusion de témoignages ou le passage en littérature, c’est également l’impact de la sortie de Gen d’Hiroshima de Nakazawa, en 1973, dans le Weekly Shônen Jump (magazine qui accueillera, en autre : Dragon Ball, One Piece, Naruto, etc.) qui propulse le dossier hibakusha sur le devant de scène. Censuré, le manga est publié avec le soutien des syndicats enseignants, avant d’être l’un des premiers mangas traduits en français. Ce militantisme fusionne « naturellement » avec la naissance des mouvements antinucléaires, érigeant les victimes de la Bombe comme porte-parole lors de conférences, comme à la Haye en 1999 par le docteur Hida, figure symbolique des irradiés d' Hiroshima. Ce dernier lance cette phrase toujours brandie par les associations d’hibakusha : « L’élimination des armes nucléaires est la seule garantie de survie de l’humanité ». Aujourd’hui, les hibakusha sont devenus des passeurs mémoriels à l’instar de Yamaoka Michiko qui transmet son histoire dans une salle du Musée de la paix à Hiroshima ou des groupes comme Nihon Hidankyô, lauréat du prix Nobel de la paix 2024. Leurs activités s’étendent de la passation à la réaction sur les politiques entourant le nucléaire, comme lors de la triple catastrophe de Fukushima, en 2011, mais également la formation de la future génération comme Soshi Hosoi. À dix ans, il est devenu le plus jeune conteur de la mémoire des hibakusha après avoir étudié et enregistré le témoignage de Shizuko Mitamura, originaire de Nagasaki, car pour lui il faut désormais prendre le relais pour perpétuer la mémoire à la prochaine génération.
Par Edouard Kamykowska,
Historien
Bibliographie
Manga
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Études
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BOUISSOU Jean-Marie, Manga – Histoire et univers de la bande dessinée japonaise, Arles, Éditions Picquier, coll. « Picquier Poche », 3e édition, 2013 (première édition 2010).
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COURMONT Barthélémy, Le Japon de Hiroshima. L’abîme et la résilience, Paris, Vendémiaire, 2015.
COURTINE Jean-Jacques (dir.), Histoire des émotions 3. De la fin du XIXe siècle à nos jours, Paris, Le Seuil, coll. « L’Univers historique », 2017.
LALANNE Bernard, MARIE Richard, MEYER Anne-Marie, PRAT Marie-Claire, Les risques et les catastrophes d’origine humaine, Bordeaux, Éditions confluences, coll. « les petits vocabulaires de la Géographie », 2013.
LUCKEN Michael, Les Japonais et la guerre 1937-1952, Paris, Fayard, 2013.

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![Figure 1 : NAKAZAWA Keiji, [Apparition des premiers effets de l’exposition radioactive sur un soldat], dans Gen d’Hiroshima, 2009, t.2 p. 50-51.](https://static.wixstatic.com/media/27e84d_40dcb6ede9964ed59c73e3303291e8e0~mv2.png/v1/fill/w_587,h_445,al_c,q_85,enc_avif,quality_auto/27e84d_40dcb6ede9964ed59c73e3303291e8e0~mv2.png)
![Figure 2 : NAKAZAWA Keiji, [Mitsuko crache du sang dû à une leucémie], dans Gen d’Hiroshima, 2009, t.10 p. 180.](https://static.wixstatic.com/media/27e84d_cada96bf1ec14ad5a726b9a48ea99051~mv2.png/v1/fill/w_432,h_651,al_c,q_85,enc_avif,quality_auto/27e84d_cada96bf1ec14ad5a726b9a48ea99051~mv2.png)



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